Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/319

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Le chef, dont tous les efforts sont vains en pareil cas pour rétablir l’ensemble, n’a qu’une chose à faire, c’est d’exiger que le joueur de grosse caisse compte d’avance le nombre de coups à donner dans le passage en question, et que, le sachant, il ne regarde plus sa partie et tienne constamment les yeux fixés sur la bâton conducteur ; aussitôt il pourra suivre le mouvement sans le moindre défaut de précision. Un autre retard, produit par une cause différente, se fait souvent remarquer dans les parties de trompettes ; c’est quand elles contiennent, dans un mouvement vif, des passages tels que celui-ci :


\language "italiano"
  \relative do'' {
  \set Staff.instrumentName =  \markup \fontsize #-2 #"Allegro."
  \clef treble
  \key do \major
  \time 6/8
  r8^\markup{\bold A} do8[ do] do[ do do] | do[ do do] do[ do do] \bar "||" do2.-^    \bar "||"
}
\header { tagline = ##f}

Le joueur de trompette, au lieu de respirer avant la première de ces trois mesures, respire au commencement, pendant le demi-soupir A et, ne tenant pas compte, du petit temps qu’il a pris pour respirer, donne néanmoins toute sa valeur au demi-soupir, qui se trouve ainsi surajouté à la valeur de la première mesure. Il en résulte l’effet suivant :


\language "italiano"
  \relative do'' {
  \set Staff.instrumentName =  \markup \fontsize #-2 #"Allegro."
  \clef treble
  \key do \major
  \time 6/8
    r8 r do8 do[ do do] | do[ do do] do[ do do] \bar "||" do do4(^\markup{\raise #0.0 {^}} do4.)   \bar "||"
}
\header { tagline = ##f}

effet d’autant plus mauvais que l’accent final, frappé au commencement de la troisième mesure par le reste de l’orchestre, arrive un tiers de temps trop tard dans les trompettes et détruit l’ensemble de l’attaque du dernier accord.

Pour obvier à cela, le chef doit d’abord avertir à l’avance les exécutants de cette inexactitude, où ils sont presque tous entraînés à tomber sans s’en apercevoir, en conduisant, leur jeter un coup d’œil au moment décisif, et anticiper un peu en frappant le premier temps de la mesure dans laquelle ils entrent. On ne saurait croire combien il est difficile d’empêcher les joueurs de trompettes de doubler la valeur d’un demi-soupir ainsi placé.

Quand un long accelerando a poco a poco est indiqué par le compositeur pour arriver de l’Allegro moderato à un Presto, la plupart des chefs d’orchestre pressent le mouvement par saccades, au lieu de l’animer toujours également par une progression insensible. C’est à éviter avec soin. La même remarque est applicable à la proposition inverse. Il est même plus difficile encore d’élargir doucement, sans secousses, un mouvement vif pour le transformer peu à peu en un mouvement lent.

Souvent voulant faire preuve de zèle, ou par défaut de délicatesse dans son sentiment musical, un chef exige de ses musiciens l’exagération des nuances. Il ne comprend ni le caractère ni le style du morceau. Les nuances deviennent alors des taches, les accents des cris ; les intentions du pauvre compositeur sont totalement défigurées et perverties, et celles du chef d’orchestre, si honnêtes qu’on les suppose, n’en sont pas moins malencontreuses comme les tendresses de l’âne de la fable qui assomme son maître en le caressant.

Signalons à présent plusieurs déplorables abus constatés dans presque tous les orchestres de l’Europe ; abus qui désespèrent les compositeurs et qu’il est du devoir des chefs de faire disparaître le plus tôt possible.

Les artistes jouant des instruments à archet veulent rarement se donner la peine de faire le tremolo ; ils substituent à cet effet si caractérisé une plate répétition de la note, de moitié, souvent même des trois quarts plus lente que celle d’où résulte le tremolo ; au lieu de quadruples croches, ils en font de triples ou de doubles ; au lieu de produire soixante-quatre notes dans une mesure à quatre temps (Adagio) ils n’en produisent que trente-deux ou même seize. Le frémissement du bras nécessaire pour obtenir le vrai tremolo exige, sans doute, un trop grand effort ! Cette paresse est intolérable. Bon nombre de contrebassistes se permettent, par paresse encore, ou par crainte de ne pouvoir vaincre certaines difficultés, de simplifier leur partie. Cette école des simplificateurs, en honneur il y a quarante ans, ne saurait subsister davantage. Dans les œuvres anciennes les parties de contre-basse sont fort simples, il n’y a donc aucune raison de les appauvrir encore ; celles des partitions modernes sont un peu plus difficiles, il est vrai, mais, à de très rares exceptions près, on n’y trouve rien d’inexécutable ; les compositeurs maîtres de leur art les écrivent avec soin et telles qu’elles doivent être exécutées. Si c’est par paresse que les simplificateurs les dénaturent, le chef d’orchestre énergique est armé de l’autorité nécessaire pour les obliger à faire leur devoir. Si c’est par incapacité, qu’il les congédie. Il a tout intérêt à se débarrasser d’instrumentistes qui ne savent pas jouer de leur instrument.

Les joueurs de Flûte, accoutumés à dominer les autres instruments à vent, et n’admettant pas que leur partie puisse être écrite au dessous de celles des Clarinettes et des Hautbois, transposent fréquemment des passages entiers à l’octave supérieure. Le chef, s’il ne lit pas bien la partition, s’il ne connaît pas parfaitement l’ouvrage qu’il dirige, ou si son oreille manque de finesse, ne s’apercevra pas de cette étrange liberté prise par les Fûtistes. Il s’en présente maint exemple cependant, et l’on doit veiller à ce que ces exemples disparaissent tout à fait.

Il arrive partout, (je ne dis pas dans quelques orchestres seulement), il arrive partout, je le répète, que les violonistes chargés, on le sait, d’exécuter à dix, à quinze, à vingt, la même partie à l’unisson, ne comptent pas leurs mesures de silence par paresse toujours, et se reposent de ce soin, les uns sur les autres. D’où il suit qu’il en rentre à peine la moitié au moment opportun, pendant que les autres tiennent encore leurs instruments sous le bras gauche et regardent en l’air ; la rentrée est alors affaiblie sinon totalement manquée. J’appelle sur cette insupportable habitude l’attention et la sévérité des chefs d’orchestre. Elle est tellement enracinée néanmoins qu’ils ne viendront à bout de l’extirper qu’en rendant un grand nombre de violonistes solidaires de la faute d’un seul ; en mettant à l’amende, par exemple, ceux de tout un rang, si l’un d’eux a manqué son entrée. Quand cette amende ne serait que de trois francs, comme elle peut être infligée cinq ou six fois au même individu dans une séance, je réponds que chacun des violonistes comptera ses pauses et veillera à ce que son voisin en fasse autant.