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Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/320

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Un orchestre dont les instruments ne sont pas d’accord isolément et entre eux est une monstruosité ; le chef mettra donc le plus grand soin à ce que les musiciens s’accordent. Mais cette opération ne doit pas se faire devant le public. De plus toute rumeur instrumentale, et tout prélude pendant les entr’actes, constituent une offense réelle faite aux auditeurs civilisés. On reconnaît la mauvaise éducation d’un orchestre et sa médiocrité musicale, aux bruits importuns qu’il fait entendre pendant les moments de repos d’un opéra ou d’un concert.

Il est encore impérieusement imposé au chef d’orchestre de ne pas laisser les clarinettistes se servir toujours du même instrument (de la clarinette en Si ♭) sans égard pour les indications de l’auteur ; comme si les diverses clarinettes, celles en et en la surtout, n’avaient pas un caractère spécial dont le compositeur instruit connaît tout le prix, et comme si la clarinette en la n’avait pas d’ailleurs un demi ton au grave de plus que la clarinette en Si ♭,

l’ut dièze d’un excellent effet :

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble
  dod1 \bar "||"
}
\layout{
    #(layout-set-staff-size 12)
  }
\header { tagline = ##f}
produit par le Mi :

\language "italiano"
\relative do' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble
  sol1 \bar "||"
}
\layout{
    #(layout-set-staff-size 12)
  }
\header { tagline = ##f}
lequel Mi ne donne que le Ré :

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble
  re1 \bar "||"
}
\layout{
    #(layout-set-staff-size 12)
  }
\header { tagline = ##f}
sur la clarinette en Si ♭.

Une habitude aussi vicieuse et plus pernicieuse encore, s’est introduite à la suite des cors à cylindres et à pistons dans beaucoup d’orchestres ; celle de jouer en sons ouverts, au moyen du mécanisme nouveau adapté à l’instrument, les notes destinées par le compositeur à être produites en sons bouchés par l’emploi de la main droite dans le pavillon. En outre les Cornistes maintenant, à cause de la facilité que les Pistons ou Cylindres leur donnent de mettre leur instrument dans divers tons, ne se servent que du cor en fa, quel que soit le ton indiqué par l’auteur. Cet usage amène une foule d’inconvénients dont le chef d’orchestre doit mettre tous ses soins à préserver les œuvres des compositeurs qui savent écrire ; pour celles des autres, il faut l’avouer, le malheur est beaucoup moins grand.

Il doit s’opposer encore à l’usage économique adopté dans certains théâtres dits Lyriques, de faire jouer les Cymbales et la grosse Caisse à la fois par le même musicien. Le son des Cymbales attachées sur la grosse Caisse, comme il faut qu’elles le soient pour rendre cette économie possible, est un bruit ignoble bon seulement pour les orchestres des bals de barrières. Cet usage, en outre, entretient les compositeurs médiocres dans l’habitude de ne jamais employer isolément l’un de ces deux instruments et de considérer leur emploi comme uniquement propre à l’accentuation énergique des temps forts de la mesure. Idée féconde en bruyantes platitudes et qui nous a valu les ridicules excès sous lesquels, si l’on n’y met un terme, la musique dramatique succombera tôt ou tard.

Je finis en exprimant le regret de voir encore partout les études du chœur et de l’orchestre si mal organisées. Partout, pour les grandes compositions chorales et instrumentales, le système des répétitions en masse est conservé. On fait étudier à la fois, d’une part tous les Choristes, de l’autre tous les instrumentistes.

De déplorables erreurs, d’innombrables bévues, sont alors commises, dans les parties intermédiaires surtout, erreurs dont le maître de chant et le chef d’orchestre ne s’aperçoivent pas. Une fois établies ces erreurs dégénèrent en habitudes, s’introduisent et persistent dans l’exécution.

Les malheureux Choristes d’ailleurs, pendant leurs études telles quelles, sont bien les plus maltraités des exécutants. Au lieu de leur donner un bon conducteur sachant les mouvements, instruit dans l’art du chant, pour battre la mesure et faire les observations critiques — un bon pianiste jouant une partition de piano bien faite sur un bon piano — et un violoniste pour jouer à l’unisson ou à l’octave des voix chaque partie étudiée isolément ; au lieu de ces trois artistes indispensables, on les confie, dans les deux tiers des théâtres lyriques de l’Europe, à un seul homme qui n’a pas plus l’idée de l’art de conduire que de celui de chanter, peu musicien en général, choisi parmi les plus mauvais pianistes qu’on a pu trouver, ou plutôt qui ne joue pas de piano du tout, déplorable invalide qui, assis devant un instrument délabré, discordant, tâche de déchiffrer une partition disloquée qu’il ne connaît pas, frappe des accords faux, majeurs quand ils sont mineurs et réciproquement, et, sous prétexte de conduire et d’accompagner à lui tout seul, emploie sa main droite pour que les Choristes se trompent de rhythme et sa main gauche pour qu’ils se trompent d’intonations.

On se croirait au moyen âge, quand on est témoin de cette économique barbarie…

Une interprétation fidèle, colorée, inspirée, d’une œuvre moderne, confiée même à des artistes d’un ordre élevé, ne se peut obtenir, je le crois fermement, que par des répétitions partielles. Il faut faire étudier chaque partie d’un chœur isolément, jusqu’à ce qu’elle soit bien sue, avant de l’admettre dans l’ensemble. La même marche est à suivre pour l’orchestre d’une symphonie un peu compliquée. Les violons doivent être exercés seuls d’abord, d’autre part les Altos et les Basses, puis les instruments à vent en bois (avec un petit groupe d’instruments à cordes pour remplir les silences et accoutumer les instruments à vent aux rentrées), les instruments à vent en cuivre également ; très souvent même il est nécessaire d’exercer seuls les instruments à percussion, et enfin les Harpes s’il y en a une masse. Les études d’ensemble sont ensuite bien plus fructueuses et plus rapides, et l’on peut se flatter d’arriver ainsi à une fidélité d’interprétation dont la rareté, hélas, n’est que trop bien prouvée.

Les exécutions obtenues par l’ancien procédé d’études ne sont que des à peu près, sous lesquels tant et tant de chefs-d’œuvre succombent. Le conducteur organisateur, après l’égorgement d’un maître, n’en dépose pas moins son bâton avec un sourire satisfait ; et s’il lui reste quelques doutes sur la façon dont il a rempli sa tâche, comme, en dernière analyse, personne ne s’avise d’en contrôler l’accomplissement, il murmure à part lui : « Bah ! væ victis ! »

H. BERLIOZ.



Paris, Imp. A. Chaimbaud et Cie, Rue de la Tour d’Auvergne, 18.