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LA VILLE AUX ILLUSIONS

façon de penser. Mais il avait une telle façon de vous regarder en souriant, avec un clin d’œil de ses petits yeux pétillants de malice et d’intelligence, que même les fortes têtes du village, ceux qui affichaient des opinions libérales et se contentaient de fréquenter, le dimanche, le cabaret, en guise de messe, convenaient d’une seule voix « que l’abbé Murillot était un bien brave type ». Et cette expression populaire le peignait à merveille. L’abbé Murillot était « un brave type » dans toute l’acception du terme.

Il fit asseoir Jean sur une chaise de paille, destinée aux visiteurs, et lui-même prit place sur une sorte de tabouret rustique à trois pieds, tandis que la vieille gouvernante, coiffée du petit bonnet noir des Arlésiennes, apportait sur la table un broc de vin et deux verres à bords épais, mais méticuleusement propres.

— Eh bien ! mon petit ? interrogea paternellement le prêtre en versant une rasade dans chaque gobelet. Que me racontes-tu de bon ?

— Monsieur l’abbé, je viens vous annoncer que mon départ est décidé.

— Ton départ ? Mais nous ne sommes encore qu’à la mi-septembre ?

— Oh ! je ne retourne plus au collège d’Avignon…

— C’est vrai ; tu as obtenu ton bachot cette année, hein ?

— Oui, monsieur l’abbé.

— Quel âge as-tu, gamin ?

— Dix-sept ans, monsieur l’abbé.

— Hé ! Hé ! le poussin se fait coquelet ! C’est bien mon garçon… Tu me disais donc que tu l’en vas…

— Oui… À Paris.

Les gros sourcils du prêtre se levèrent d’étonnement.

— À Paris ? Pourquoi faire ?

— Pour poursuivre mes études, monsieur l’abbé.

— Tes parents ne te trouvent pas assez instruit comme ça ?

— Je voudrais être avocat.

— Ça ne te dit donc rien, les champs ? fit l’abbé