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LA VILLE AUX ILLUSIONS

avec une imperceptible nuance de reproche dans la voix.

— Je me sens capable de faire autre chose qu’un paysan…

— Et les parents ? reprit le prêtre, après un court instant de silence. Qu’est-ce qu’ils en disent ?

— Oh ! ils trouvent que j’ai raison ! Un avocat gagne bien sa vie, aujourd’hui…

Un imperceptible sourire ironique releva les lèvres rasées de l’abbé Murillot.

— Oui… Ils veulent faire de toi un « Monsieur » !

Un peu de rouge monta aux joues de Jean.

— N’est-ce pas le droit de chacun, Monsieur l’abbé, de chercher à s’élever ?

Celui-ci haussa ses vastes épaules et fit la moue.

— Ça dépend comment tu t’entends, petit… À mon point de vue, je trouve qu’un paysan vaut bien un avocat…

— Vous n’avez pas l’air de m’approuver ? fit le jeune homme interrogateur.

— Non, j’aime mieux te le dire tout franc. Tu ferais beaucoup mieux de rester ici. Tu veux mon avis, le voilà ! Tu sais que je n’ai pas pour habitude de farder la vérité.

— Mais, monsieur l’abbé, mon père a déjà fait beaucoup de sacrifices pour mon éducation… Ce n’est pas au moment de terminer, d’avoir un résultat, qu’il me verrait abandonner avec plaisir.

Le curé envoya rouler un caillou du bout de sa semelle, puis, croisant et décroisant les doigts dans un geste machinal, il reprit :

— Crois-tu qu’il n’y aurait pas du travail chez, toi, mon gars ? Voilà tes parents qui se font vieux ; le domaine est important, et ils n’ont que toi… Que deviendra-t-il à leur mort ?

— On vendra…

— Bien sûr ! Et c’est dommage ! Tu sais, un gros propriétaire instruit vaut un homme de loi, je te le répète, et être bachelier ne gâte pas le métier de paysan… Et puis, enfin, il y a autre chose. Tu vas