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LA VILLE AUX ILLUSIONS

« Que devenez-vous ? disait-elle. On ne vous voit plus ! Papa pense que vous avez été écrasé par un autobus et maman suppose que vous avez été enlevé par les gangsters… Venez vous-même nous rassurer, cet après-midi… Nous irons nous promener tous les deux. Je veux vous emmener goûter au pavillon d’Armenonville ! »

Ces quelques lignes suffirent pour mettre en déroute toutes les belles résolutions du jeune homme, qui, déjà, ne tenaient que bien difficilement…

— Après tout, pensa-t-il, pourquoi ne courrais-je pas ma chance, moi aussi ? Je sais bien que malheureusement, elle est d’une autre classe sociale que la mienne, que son père est riche… Mais, qu’importent toutes ces considérations, si elle m’aime aussi ? Puisque moi, je serai avocat… Je serai célèbre, un jour, c’est certain… À ce moment-là, nous serons à égalité… Nous sommes jeunes tous les deux ; il n’y a aucun inconvénient à attendre cinq ou six ans…

Qu’ils étaient loin les conseils de la prudence et de la raison ! Ils fuyaient à tire d’aile devant les objections victorieuses de l’Amour…

Cette fois, en passant par l’avenue des Champs-Élysées, Jean n’oublia pas d’acheter un bouquet. Mais il ne put s’empêcher de faire un geste de surprise lorsqu’il fallut en acquitter le prix.

— Vingt francs ? s’exclama-t-il. Eh bien ! ils sont chers, vos œillets !

— Trente sous pièce ! riposta la marchande, outrée. Et au mois de novembre ! Vous en avez quatorze parce que je vous ai fait censément cadeau du dernier, parce que le treize, ça porte malheur ! Et vous n’êtes pas content ? Quand on est un purotin, on ne paie pas de fleurs à sa petite amie !

Jean s’éloigna en hâte, le rouge au front. Quelques passants avaient entendu et riaient.

Quand Arlette arriva dans le salon, il lui offrit gauchement son achat.

— Ah ! vilain ! s’écria-t-elle, rieuse. Vous cher-