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LA VILLE AUX ILLUSIONS

de la misère, quêter une occupation quelconque qui leur permettra de manger, de s’abriter… de vivre, enfin !

Jean connaissait maintenant la façon dont se passait la chose… Les premières fois, il hésitait à parler, rougissait de honte à l’idée de quémander, de s’offrir. Il ne comprenait pas encore combien est naturelle la recherche du travail… Mais l’expérience devait venir vite…

Maintenant, il entrait, s’asseyait à l’extrémité de la longue file morne, et attendait patiemment… Puis, lorsque plusieurs concurrents avaient été examinés, on ouvrait une porte et on annonçait :

— Messieurs… vous pouvez, vous retirer… la place est prise…

Alors, on partait, le dos un peu plus rond, le visage un peu plus las, courir vers de nouveaux espoirs…

Jean avait vu tour à tour s’évanouir de la sorte tous les siens… Au bout d’une semaine de démarches inutiles et épuisantes, dans tous les quartiers de la capitale, il eut une crise de découragement et renonça à être employé.

— N’importe quoi ! songea-t-il. Je prendrai n’importe quoi !

Il avait déjà écrit à ses parents qu’il était inutile qu’ils continuassent à lui envoyer sa pension. Le médecin lui avait soi-disant interdit de poursuivre ses études et il avait trouvé une situation où il gagnait bien sa vie…

Il ne voulait pas, pour rien au monde, que ses vieux continuent à se priver pour lui, puisque, désormais, il avait dit adieu à la Faculté de Droit. D’un autre côté, son orgueil se révoltait à l’idée de revenir près d’eux. Il imaginait déjà les gorges chaudes qu’on en ferait dans le village : « C’était pas la peine de partir à Paris pour en revenir Gros-Jean connue devant ! »

Il reprit ses courses harassantes. Heureusement, n’ayant plus le souci de sa toilette, il se contentait