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LA VILLE AUX ILLUSIONS

— Ah ! poverot ! Enfin, continue…

— Pendant tout mon séjour à l’hôpital, je n’ai rien reçu d’elle…

— Et ça ne t’a pas ouvert les yeux ? Si elle t’avait aimé, elle aurait été pendue chaque jour au cordon de sonnette de l’hôpital…

— Je pensais qu’elle était en voyage… qu’elle ne savait pas…

— Ouais ! Enfin, de mauvaises excuses ! Je vois ça d’ici. Ensuite ? Tu es sorti, et tu t’es précipité chez elle ?

— Oui…

— Alors, l’explication ?

— Oui, monsieur l’abbé… Elle m’a appris ses fiançailles…

— Qu’as-tu fait ?

— Je crois que je me suis évanoui…

L’abbé haussa encore les épaules et sourit :

— Ah ! niquedouille, va ! Ça ne l’a pas attendrie.

— Oh ! non ! Elle m’a fait comprendre, en termes très durs, que je n’avais été pour elle qu’un passe-temps…

— Ça ne prouve pas son bon cœur… Mais, hélas ! bien souvent la fortune vous rend égoïste et méchant… Tu ne t’es pas trouvé encore guéri ?

— Je suis rentré chez moi et j’ai brûlé mes livres… mes cahiers…

— Pourquoi donc ?

— Je travaillais pour elle… pour devenir un grand avocat.

— Et du moment que tu n’avais plus d’espoir, tu renonçais à tes études… Oui, oui, je comprends… Bah ! tu vivras sans la gloire et tu n’en seras que plus heureux, crois-moi… Pour vivre heureux, vivons caché… La gloire, a dit quelqu’un, est la rançon dorée du bonheur… Bref, que fais-tu, présentement ?

— Je suis garçon livreur… Je n’ai rien trouvé d’autre. Pourtant, j’ai bien cherché, je vous jure !

— Ça ne m’étonne pas ! Mon pauvre enfant, Paris est la ville-pieuvre par excellence… Elle suce toutes