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Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/106

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– Ben, madame Céleste, sûr toujours qu’il a su vous délier la langue, un avocat ne causerait pas mieux. Quand même, les gens n’ont pas tort de se plaindre. Un curé qui leur arrive passé minuit, dans la carriole de l’idiot, avec la provision de châtaignes, et qui disparaît sans avoir seulement montré le bout de son nez, laissant tout le village dans le souci ! Vous pouvez expliquer ça, vous ?

– Et si c’était la justice, ma belle ? Croyez-vous qu’ils n’aient pas plus d’un tour dans leur sac pour se débarrasser d’un homme qui voit trop clair ? Autrement, qu’est-ce qu’il serait venu faire ici, ce petit juge, deux heures durant ? J’ai tâché d’écouter à travers la porte, je ne le cache pas, je m’en vante. Ah ! bien oui ! Autant vouloir entendre pousser l’herbe. Laissez dire ! Un magistrat qui n’a rien à se reprocher ne parle pas comme une fille en confesse. Lorsqu’il est sorti, j’ai fait exprès de le reconduire jusqu’à l’enclos. Pas moyen seulement de voir la couleur de ses yeux.

– Et le curé ?

– Tout renfrogné, tout triste. La mine d’attendre quelqu’un. Et en effet, dix minutes plus tard voilà qu’arrive l’enfant de chœur qui me passe quasi entre les pattes, dans le couloir. J’ai cru qu’il sortait du plancher, c’te vermine ! « D’où viens-tu ? » que je lui dis. Il avait sa culotte trempée, la main pleine de cambouis. « Tâche au moins de ne pas poser ton derrière sur notre fauteuil, barbouillé ! » S’il m’avait seulement répondu de travers, je l’aurais fichu dehors, il n’y a pas de curé qui tienne ! Mais c’est un garçon rusé, ma fine, et qui tient sa langue quand il faut. N’importe. Sûr qu’un bon coup du manche de mon balai à travers sa face de rat eût épargné bien des malheurs…

– Alors, vous croyez que le juge et lui…

– Deux têtes sous le même bonnet, ma chère. La preuve, c’est que leur besogne faite, le barbouillé court toujours, Dieu sait où !

– La vieille croit à un crime, ma chère, elle est comme folle.

Laissant tomber sa voix sur les dernières syllabes, elle croisa les deux mains sur son ventre, les yeux mi-clos, la pointe de la langue dépassant les lèvres, dans l’attitude à la fois recueillie et gourmande qu’elle prenait chaque soir lorsque