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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

le courant de la vie au lieu de le descendre et s’épuise en tentatives absurdes, effrayantes pour refaire, en sens contraire, tout l’effort de la Création.)

♦♦♦ L’institutrice est venue me trouver ce matin à la sacristie. Nous avons parlé longuement de Mlle Chantal. Il paraît que cette jeune fille s’aigrit de plus en plus, que sa présence au château est devenue impossible, et qu’il conviendrait de la mettre en pension. Mme la comtesse ne paraît pas encore décidée à prendre une telle mesure. J’ai compris qu’on attendait de moi que j’intervinsse auprès d’elle, et je dois dîner au château la semaine prochaine.

Évidemment Mademoiselle ne veut pas tout dire. Elle m’a plusieurs fois regardé droit dans les yeux, avec une insistance gênante, ses lèvres tremblaient. Je l’ai reconduite jusqu’à la petite porte du cimetière. Sur le seuil, et d’une voix entrecoupée, rapide, comme on s’acquitte d’un aveu humiliant — d’une voix de confessionnal — elle s’est excusée de faire appel à moi dans des circonstances si dangereuses, si délicates. « Chantal est une nature passionnée, bizarre. Je ne la crois pas vicieuse. Les jeunes personnes de son âge ont presque toujours une imagination sans frein. J’ai d’ailleurs beaucoup hésité à vous mettre en garde contre une enfant que j’aime et que je plains, mais elle est fort capable d’une démarche inconsidérée. Nouveau venu dans cette paroisse, il