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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/100

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pour cette raison, qui sait ?… — je ne comprends réellement que la supériorité de la race, du sang. Si je l’avouais, on se moquerait de moi. Il me semble, par exemple, que j’aurais volontiers servi un vrai maître — un prince, un roi. On peut mettre ses deux mains jointes entre les mains d’un autre homme et lui jurer la fidélité du vassal mais l’idée ne viendrait à personne de procéder à cette cérémonie aux pieds d’un millionnaire, parce que millionnaire, ce serait idiot. La notion de richesse et celle de puissance ne peuvent encore se confondre, la première reste abstraite. Je sais bien qu’on aurait beau jeu de répondre que plus d’un seigneur a dû jadis son fief aux sacs d’écus d’un père usurier, mais enfin, acquis ou non à la pointe de l’épée, c’est à la pointe de l’épée qu’il devait le défendre comme il eût défendu sa propre vie, car l’homme et le fief ne faisaient qu’un, au point de porter le même nom… N’est-ce point à ce signe mystérieux que se reconnaissaient les rois ? Et le roi, dans nos saints livres, ne se distingue guère du juge. Certes, un millionnaire dispose, au fond de ses coffres, de plus de vies humaines qu’aucun monarque, mais sa puissance est comme les idoles, sans oreilles et sans yeux. Il peut tuer, voilà tout, sans même savoir ce qu’il tue. Ce privilège est peut-être aussi celui des démons.

(Je me dis parfois que Satan qui cherche à s’emparer de la pensée de Dieu, non seulement la hait sans la comprendre, mais la comprend à rebours. Il remonte à son insu