Aller au contenu

Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

entendre. En me rhabillant, je me regardais dans la glace, et mon triste visage, un peu plus jaune chaque jour, avec ce long nez, la double ride profonde qui descend jusqu’aux commissures des lèvres, la barbe rase mais dure dont un mauvais rasoir ne peut venir à bout, m’a soudain paru hideux.

Sans doute le docteur a-t-il surpris mon regard, car il s’est mis à rire. Le chien a répondu par des aboiements, puis par des sauts de joie. « À bas, Fox ! À bas, sale bête ! » Finalement nous sommes entrés dans la cuisine. Tout ce bruit m’avait rendu courage, je ne sais pourquoi. La haute cheminée, bourrée de fagots, flambait comme une meule.

— Quand vous vous embêterez trop, vous viendrez faire un tour par ici. C’est une chose que je ne dirais pas à tout le monde. Mais le curé de Torcy m’a parlé de vous, et vous avez des yeux qui me plaisent. Des yeux fidèles, des yeux de chien. Moi aussi, j’ai des yeux de chien. C’est plutôt rare. Torcy, vous et moi, nous sommes de la même race, une drôle de race.

L’idée d’appartenir à la même race que ces deux hommes solides ne me serait jamais venue, sûrement. Et pourtant, j’ai compris qu’il ne plaisantait pas.

— Quelle race ? ai-je demandé.

— Celle qui tient debout. Et pourquoi tient-elle debout ? Personne ne le sait, au juste. Vous allez me dire : la grâce de Dieu ? Seulement, moi, mon ami, je ne crois pas en Dieu. Attendez ! Pas la peine de me réciter