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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

est comme l’épanouissement de la charité, son avènement triomphal.

Le docteur m’a regardé un long moment avec un air de surprise, d’hésitation très gênant pour moi. Je crois que la phrase lui avait déplu. Ce n’était qu’une phrase, en effet.

— Triomphal ! Triomphal ! Il est propre, votre triomphe, mon garçon. Vous me répondrez que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde ? D’accord. Mais si on donnait un petit coup de pouce à l’horloge, quand même ? Ce que je vous reproche, à vous autres, ça n’est pas qu’il y ait encore des pauvres, non. Et même, je vous fais la part belle, je veux bien que la charge revienne à de vieilles bêtes comme moi de les nourrir, de les vêtir, de les soigner, de les torcher. Je ne vous pardonne pas, puisque vous en avez la garde, de nous les livrer si sales. Comprenez-vous ? Après vingt siècles de christianisme, tonnerre de Dieu, il ne devrait plus y avoir de honte à être pauvre. Ou bien, vous l’avez trahi, votre Christ ! Je ne sors pas de là. Bon Dieu de bon Dieu ! Vous disposez de tout ce qu’il faut pour humilier le riche, le mettre au pas. Le riche a soif d’égards, et plus il est riche, plus il a soif. Quand vous n’auriez eu que le courage de les foutre au dernier rang, près du bénitier ou même sur le parvis — pourquoi pas ? — ça les aurait fait réfléchir. Ils auraient tous louché vers le banc des pauvres, je les connais. Partout ailleurs les premiers, ici, chez Notre-Seigneur, les derniers, voyez-vous ça ? Oh ! je sais bien que la chose n’est