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JOURNAL

pas commode. S’il est vrai que le pauvre est à l’image et à la ressemblance de Jésus, — Jésus lui-même, — c’est embêtant de le faire grimper au banc d’œuvre, de montrer à tout le monde une face dérisoire sur laquelle, depuis deux mille ans, vous n’avez pas encore trouvé le moyen d’essuyer les crachats. Car la question sociale est d’abord une question d’honneur. C’est l’injuste humiliation du pauvre qui fait les misérables. On ne vous demande pas d’engraisser des types qui d’ailleurs ont de père en fils perdu l’habitude d’engraisser, qui resteraient probablement maigres comme des coucous. Et même on veut bien admettre, à la rigueur, pour des raisons de convenances, l’élimination des guignols, des fainéants, des ivrognes, enfin des phénomènes carrément compromettants. Reste qu’un pauvre, un vrai pauvre, un honnête pauvre ira de lui-même se coller aux dernières places dans la maison du Seigneur, la sienne, et qu’on n’a jamais vu, qu’on ne verra jamais un suisse empanaché comme un corbillard, le venir chercher au fond de l’église pour l’amener dans le chœur, avec les égards dus à un Prince — un Prince du sang chrétien. Cette idée-là fait ordinairement rigoler vos confrères. Futilités, vanités. Mais pourquoi diable prodiguent-ils de tels hommages aux Puissants de la Terre, qui s’en régalent ? Et s’ils les jugent ridicules, pourquoi les font-ils payer si cher ? « On rirait de nous, disent-ils, un bougre en haillons dans le chœur, ça tournerait vite à