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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

nerveux où je suis je ne pourrais d’ailleurs que me perdre en vaines excuses. À quoi bon parler du passé ? L’avenir seul m’importe, et je ne me sens pas encore capable de le regarder en face.

M. le curé de Torcy pense probablement comme moi. Sûrement même. Ce matin, tandis que j’accrochais les tentures pour les obsèques de Marie Perdrot, j’ai cru reconnaître son pas si ferme, un peu lourd, sur les dalles. Ce n’était que le fossoyeur qui venait me dire que son travail était fini.

La déception a failli me faire tomber de l’échelle… Oh ! non, je ne suis pas prêt…

♦♦♦ J’aurais dû dire au docteur Delbende que l’Église n’est pas seulement ce qu’il imagine, une espèce d’État souverain avec ses lois, ses fonctionnaires, ses armées, — un moment, si glorieux qu’on voudra, de l’histoire des hommes. Elle marche à travers le temps comme une troupe de soldats à travers des pays inconnus où tout ravitaillement normal est impossible. Elle vit sur les régimes et les sociétés successives ainsi que la troupe sur l’habitant, au jour le jour.

Comment rendrait-elle au Pauvre, héritier légitime de Dieu, un royaume qui n’est pas de ce monde ? Elle est à la recherche du Pauvre, elle l’appelle sur tous les chemins de la terre. Et le Pauvre est toujours à la même place, à l’extrême pointe de la cime vertigineuse, en face du Seigneur des Abîmes qui lui répète inlassablement depuis vingt siècles,