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JOURNAL

L’impureté des enfants, surtout… Je la connais. Oh ! je ne la prends pas non plus au tragique ! Je pense, au contraire que nous devons la supporter avec beaucoup de patience, car la moindre imprudence peut avoir, en cette matière, des conséquences effrayantes. Il est si difficile de distinguer des autres les blessures profondes, et même alors si périlleux de les sonder ! Mieux vaut parfois les laisser se cicatriser d’elles-mêmes, on ne torture pas un abcès naissant. Mais ça ne m’empêche pas de détester cette conspiration universelle, ce parti pris de ne pas voir ce qui, pourtant, crève les yeux, ce sourire niais et entendu des adultes en face de certaines détresses qu’on croit sans importance parce qu’elles ne peuvent guère s’exprimer dans notre langage d’hommes faits. J’ai connu aussi trop tôt la tristesse, pour ne pas être révolté par la bêtise et l’injustice de tous à l’égard de celle des petits, si mystérieuse. L’expérience, hélas ! nous démontre qu’il y a des désespoirs d’enfant. Et le démon de l’angoisse est essentiellement, je crois, un démon impur.

Je n’ai donc pas parlé souvent de Séraphita Dumouchel, mais elle ne m’en a pas moins donné, depuis des semaines, beaucoup de soucis. Il m’arrive de me demander si elle me hait, tant son adresse à me tourmenter paraît au-dessus de son âge. Les ridicules agaceries qui avaient autrefois un caractère de niaiserie, d’insouciance, semblent trahir maintenant une certaine application