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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

mais des délicatesses, des attentions. Je lui ai donné la clef du fournil, et il entre ici en mon absence, bricole un peu partout. Grâce à lui, ma pauvre maison change d’aspect. Le vin, dit-il, ne convient pas à son estomac, mais il se bourre de sucre.

Il m’a dit les larmes aux yeux que son assiduité au presbytère lui valait beaucoup de rebuffades, de railleries. Je crois surtout que sa manière de vivre déconcerte nos paysans si laborieux, et je lui ai reproché sévèrement sa paresse. Il m’a promis de chercher du travail.

Mme Dumouchel est venue me trouver à la sacristie. Elle me reproche d’avoir refusé sa fille à l’examen trimestriel.

J’évite autant que possible de faire allusion dans ce journal à certaines épreuves de ma vie que je voudrais oublier sur-le-champ, car elles ne sont pas de celles, hélas ! que je puisse supporter avec joie — et qu’est-ce que la résignation, sans la joie ? Oh ! je ne m’exagère pas leur importance, loin de là ! Elles sont des plus communes, je le sais. La honte que j’en ressens, ce trouble dont je ne suis pas maître ne me fait pas beaucoup d’honneur, mais je ne puis surmonter l’impression physique, la sorte de dégoût qu’elles me causent. À quoi bon le nier ? J’ai vu trop tôt le vrai visage du vice, et bien que je sente réellement au fond de moi une grande pitié pour ces pauvres âmes, l’image que je me fais malgré moi de leur malheur est presque intolérable. Bref, la luxure me fait peur.