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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

je ne sais quoi de fermé, d’impénétrable. La pureté n’y était plus, mais la colère, ni le mépris, ni la honte n’avaient réussi encore à effacer le signe mystérieux. Ils y grimaçaient simplement. Sa noblesse extraordinaire, presque effrayante, témoignait de la force du mal, du péché, de ce péché qui n’était pas le sien… Dieu ! sommes-nous si misérables que la révolte d’une âme fière puisse se retourner contre elle-même ! — « Vous avez beau faire, lui dis-je (nous nous trouvions tout au fond du cimetière près de la petite porte qui ouvre sur l’enclos de Casimir, dans ce coin abandonné où l’herbe est si haute qu’on ne distingue plus les tombes, des tombes abandonnées depuis un siècle), un autre que moi eût refusé de vous entendre, peut-être. Je vous ai entendue, soit. Mais je ne relèverai pas votre défi. Dieu ne relève pas les défis. » — « Rendez-moi la lettre et je vous tiendrai quitte de tout, fit-elle. Je saurai bien me défendre seule. » — « Vous défendre contre qui, contre quoi ? Le mal est plus fort que vous, ma fille. Êtes-vous si orgueilleuse que de vous croire hors d’atteinte ? » — « Du moins de la boue, si je veux, » dit-elle. « Vous êtes vous-même de la boue. » — « Des phrases ! Est-ce que votre bon Dieu défend maintenant d’aimer son père ? » — « Ne prononcez pas ce mot d’amour, ai-je dit, vous en avez perdu le droit, et sans doute le pouvoir. L’amour ! Il y a par le monde des milliers d’êtres qui le demandent à Dieu, sont prêts à souffrir mille morts pour que tombe dans leur bouche calcinée une goutte d’eau,