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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/182

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JOURNAL

de cette eau qui ne fut pas refusée à la Samaritaine, et qui l’implorent en vain. Moi qui vous parle… »

Je me suis arrêté à temps. Mais elle a dû comprendre, elle m’a paru bouleversée. Il est vrai que bien que j’eusse parlé à voix basse — ou pour cette raison peut-être — la contrainte que je m’imposais devait donner à ma voix un accent particulier. Je la sentais comme trembler dans ma poitrine. Sans doute cette jeune fille me croyait-elle fou ? Son regard fuyait le mien, et je croyais voir s’étendre le creux d’ombre de ses joues. — « Oui, ai-je repris, gardez pour d’autres une telle excuse. Je ne suis qu’un pauvre prêtre très indigne et très malheureux. Mais je sais ce que c’est que le péché. Vous ne le savez pas. Tous les péchés se ressemblent, il n’est qu’un seul péché. Je ne vous parle pas un langage obscur ! Ces vérités sont à la portée du plus humble chrétien pourvu qu’il veuille bien les recueillir de nous. Le monde du péché fait face au monde de la grâce ainsi que l’image reflétée d’un paysage, au bord d’une eau noire et profonde. Il y a une communion des saints, il y a aussi une communion des pécheurs. Dans la haine que les pécheurs se portent les uns aux autres, dans le mépris, ils s’unissent, ils s’embrassent, ils s’agrègent, ils se confondent, ils ne seront plus un jour, aux yeux de l’Éternel, que ce lac de boue toujours gluant sur quoi passe et repasse vainement l’immense marée de l’amour divin, la mer de flammes vivantes et rugissantes qui a fécondé le chaos. Qu’êtes--