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JOURNAL

chêne une matière spongieuse que le doigt crève sans effort. Et le moraliste discutera des passions, l’homme d’État multipliera les gendarmes et les fonctionnaires, l’éducateur rédigera des programmes — on gaspillera des trésors pour travailler inutilement une pâte désormais sans levain.

(Et par exemple ces guerres généralisées qui semblent témoigner d’une activité prodigieuse de l’homme, alors qu’elles dénoncent au contraire son apathie grandissante… Ils finiront par mener vers la boucherie, à époques fixes, d’immenses troupeaux résignés.)

Ils disent qu’après des milliers de siècles, la terre est encore en pleine jeunesse, comme aux premiers stades de son évolution planétaire. Le mal, lui aussi, commence.

Mon Dieu, j’ai présumé de mes forces. Vous m’avez jeté au désespoir comme on jette à l’eau une petite bête à peine née, aveugle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cette nuit semble ne devoir jamais finir. Au dehors, l’air est si calme, si pur, que j’entends distinctement, chaque quart d’heure, la grosse horloge de l’église de Morienval, à trois kilomètres… Oh ! sans doute un homme calme sourirait de mon angoisse, mais est-on maître d’un pressentiment ?

Comment l’ai-je laissée partir ? Pourquoi ne l’ai-je pas rappelée ?…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La lettre était là, sur ma table. Je l’avais retirée par mégarde, de ma poche, avec une liasse de papiers. Détail étrange, incompréhen-