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JOURNAL

— « Savez-vous, dit-elle enfin d’une voix douce, que vos supérieurs jugeraient sévèrement votre conduite ? » — « Mes supérieurs peuvent me désavouer, s’il leur plaît, ils en ont le droit. » — « Je vous connais, vous êtes un brave jeune prêtre, sans vanité, sans ambition, vous n’avez certainement pas le goût de l’intrigue, il faut qu’on vous ait fait la leçon. Cette manière de parler… cette assurance… ma parole, je crois rêver ! Voyons, soyez franc. Vous me prenez pour une mauvaise mère, une marâtre ? » — « Je ne me permets pas de vous juger. » — « Alors ? » — « Je ne me permets pas non plus de juger Mademoiselle. Mais j’ai l’expérience de la souffrance, je sais ce que c’est. » — « À votre âge ? » — « L’âge n’y fait rien. Je sais aussi que la souffrance a son langage, qu’on ne doit pas la prendre au mot, la condamner sur ses paroles, qu’elle blasphème tout, société, famille, patrie. Dieu même. » — « Vous approuvez cela peut-être ? » — « Je n’approuve pas, j’essaie de comprendre. Un prêtre est comme un médecin, il ne doit pas avoir peur des plaies, du pus, de la sanie. Toutes les plaies de l’âme suppurent, madame. » Elle a pâli brusquement et fait le geste de se lever. — « Voilà pourquoi je n’ai pas retenu les paroles de Mademoiselle, je n’en avais d’ailleurs pas le droit. Un prêtre n’a d’attention que pour la souffrance, si elle est vraie. Qu’importent les mots qui l’expriment ? Et seraient-ils autant de mensonges… » — « Oui, le mensonge et la vérité sur le même plan, jolie