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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/195

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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

tures auxquelles — expérimenté ou non — un homme ne comprendra jamais rien. Les femmes seules savent les regarder en face. Vous ne croyez qu’aux apparences, vous autres. Et il est de ces désordres… » — « Tous les désordres procèdent du même père, et c’est le père du mensonge. » — « Il y a désordre et désordre. » — « Sans doute, lui dis-je, mais nous savons qu’il n’est qu’un ordre, celui de la charité. » Elle s’est mise à rire, d’un rire cruel, haineux. — « Je ne m’attendais certes pas… » a-t-elle commencé. Je crois qu’elle a lu dans mon regard la surprise, la pitié, elle s’est dominée aussitôt. — « Que savez-vous ? que vous a-t-elle raconté ? Les jeunes personnes sont toujours malheureuses, incomprises. Et on trouve toujours des naïfs pour les croire… » Je l’ai regardée bien en face. Comment ai-je eu l’audace de parler ainsi ? — « Vous n’aimez pas votre fille, ai-je dit. » — « Osez-vous !… » — « Madame, Dieu m’est témoin que je suis venu ici ce matin dans le dessein de vous servir tous. Et je suis trop sot pour avoir rien préparé par avance. C’est vous-même qui venez de me dicter ces paroles, et je regrette qu’elles vous aient offensée. » — « Vous avez le pouvoir de lire dans mon cœur, peut-être ? » — « Je crois que oui, madame, » ai-je répondu. J’ai craint qu’elle ne perdît patience, m’injuriât. Ses yeux gris, si doux d’ordinaire, semblaient noircir. Mais elle a finalement baissé la tête, et de la pointe du tisonnier, elle traçait des cercles dans la cendre.