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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/204

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JOURNAL

sien, car elle a poussé un cri étouffé, une sorte de gémissement farouche. Elle est allée jusqu’à la fenêtre. — « Mon mari est libre de garder ici qui lui plaît. D’ailleurs l’institutrice est sans ressources, nous ne pouvons la jeter à la rue pour satisfaire aux rancunes d’une effrontée » Une fois encore elle n’a pu poursuivre sur le même ton, sa voix a fléchi. — « Il est possible que mon mari se soit montré à son égard trop… trop attentif, trop familier. Les hommes de son âge sont volontiers sentimentaux… ou croient l’être. » Elle s’arrêta de nouveau. — « Et si cela m’est égal, après tout ! Quoi ! J’aurais souffert, depuis tant d’années, des humiliations ridicules — il m’a trompée avec toutes les bonnes, des filles impossibles, de vrais souillons et je devrais aujourd’hui, alors que je ne suis plus qu’une vieille femme, que je me résigne à l’être, ouvrir les yeux, lutter, courir des risques, et pourquoi ? Faut-il faire plus de cas de l’orgueil de ma fille que du mien ? Ce que j’ai enduré, ne peut-elle donc l’endurer à son tour ? » Elle avait prononcé cette phrase affreuse sans élever le ton. Debout dans l’embrasure de l’immense fenêtre, un bras pendant le long du corps, l’autre dressé par-dessus sa tête, la main chiffonnant le rideau de tulle, elle me jetait ces paroles comme elle eût craché un poison brûlant. À travers les vitres trempées de pluie, je voyais le parc, si noble, si calme, les courbes majestueuses des pelouses, les vieux arbres solennels… Certes, cette femme n’eût dû m’inspirer que pitié. Mais alors que d’ordinaire il m’est si facile