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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

d’accepter la faute d’autrui, d’en partager la honte, le contraste de la maison paisible et de ses affreux secrets me révoltait. Oui, la folie des hommes m’apparaissait moins que leur entêtement, leur malice, l’aide sournoise qu’ils apportent, sous le regard de Dieu, à toutes les puissances de la confusion et de la mort. Quoi ! l’ignorance, la maladie, la misère dévorent des milliers d’innocents, et lorsque la Providence, par miracle, ménage quelque asile où puisse fleurir la paix, les passions viennent s’y tapir en rampant, et sitôt dans la place, y hurlent jour et nuit comme des bêtes… — « Madame, lui dis-je, prenez garde ! » — « Garde à qui ? à quoi ? À vous, peut-être ? Ne dramatisons rien. Ce que vous venez d’entendre, je ne l’avais encore avoué à personne. » — « Pas même à votre confesseur ? » — « Cela ne regarde pas mon confesseur. Ce sont là des sentiments dont je ne suis pas maîtresse. Ils n’ont d’ailleurs jamais inspiré ma conduite. Ce foyer, monsieur l’abbé, est un foyer chrétien. » — « Chrétien ! » m’écriai-je. Le mot m’avait frappé comme en pleine poitrine, il me brûlait. — « Certes, madame, vous y accueillez le Christ, mais qu’en faites-vous ? Il était aussi chez Caïphe. » — « Caïphe ? Êtes-vous fou ? Je ne reproche pas à mon mari, ni à ma fille de ne pas me comprendre. Certains malentendus sont irréparables. On s’y résigne. » — « Oui, madame, on se résigne à ne pas aimer. Le démon aura tout profané, jusqu’à la résignation des saints. » — « Vous raisonnez comme un homme du peuple.