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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

soir. Il le fallait. Et puis, nous n’en parlerons plus, n’est-ce pas ? plus jamais ! Ce mot est doux. Jamais. En l’écrivant, je le prononce tout bas, et il me semble qu’il exprime d’une manière merveilleuse, ineffable, la paix que j’ai reçue de vous. »

J’ai glissé cette lettre dans mon Imitation, un vieux livre qui appartenait à maman, et qui sent encore la lavande, la lavande qu’elle mettait en sachet dans son linge, à l’ancienne mode. Elle ne l’a pas lue souvent, car les caractères sont petits et les pages d’un papier si fin que ses pauvres doigts, gercés par les lessives, n’arrivaient pas à les tourner.

Jamais… plus jamais… Pourquoi cela ?… C’est vrai que ce mot est doux.

J’ai envie de dormir. Pour achever mon bréviaire, il m’a fallu marcher de long en large, mes yeux se fermaient malgré moi. Suis-je heureux ou non, je ne sais.

Six heures et demie.

Mme la comtesse est morte cette nuit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— J’ai passé les premières heures de cette affreuse journée dans un état voisin de la révolte. La révolte c’est de ne pas comprendre, et je ne comprends pas. On peut bien supporter des épreuves qui semblent d’abord au-dessus de nos forces — qui de nous connaît sa force ? Mais je me sentais ridicule dans le malheur, incapable de rien faire d’utile, un embarras pour tous. Cette détresse honteuse