Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
JOURNAL

était si grande, que je ne pouvais pas m’empêcher de grimacer. Je voyais dans les glaces, les vitres, un visage qui semblait défiguré moins par le chagrin que par la peur, avec ce rictus navrant qui demande pitié, ressemble à un hideux sourire. Dieu !

Tandis que je m’agitais en vain, chacun s’employait de son mieux, et on a fini par me laisser seul. M. le comte ne s’est guère occupé de moi, et Mlle Chantal affectait de ne pas me voir. La chose s’est passée vers deux heures du matin. Mme la comtesse a glissé de son lit et dans sa chute, elle a brisé un réveille-matin posé sur la table. Mais on n’a découvert le cadavre que beaucoup plus tard, naturellement. Son bras gauche, déjà raidi, est resté un peu plié. Elle souffrait depuis plusieurs mois de malaises auxquels le médecin n’avait pas attaché d’importance. L’angine de poitrine, sans doute.

Je suis arrivé au château tout courant, ruisselant de sueur. J’espérais je ne sais quoi. Au seuil de la chambre j’ai fait, pour entrer, un grand effort, un effort absurde, mes dents claquaient. Suis-je donc si lâche ! Son visage était recouvert d’une mousseline et je reconnaissais à peine ses traits, mais je voyais très distinctement ses lèvres, qui touchaient l’étoffe. J’aurais tant désiré qu’elle sourît, de ce sourire impénétrable des morts, et qui s’accorde si bien avec leur merveilleux silence !… Elle ne souriait pas. La bouche, tirée vers la droite, avait un air d’indifférence, de dédain, presque de mépris. En levant la main