Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
JOURNAL

parfum, et toutes ensemble, elles embaument. La prière des petites choses est innocente. Dans chaque petite chose, il y a un Ange. Est-ce que tu pries les Anges ? » — « Mon Dieu, oui… bien sûr. » — « On ne prie pas assez les Anges. Ils font un peu peur aux théologiens, rapport à ces vieilles hérésies des églises d’Orient, une peur nerveuse, quoi ! Le monde est plein d’Anges. Et la Sainte Vierge, est-ce que tu pries la Sainte Vierge ? » — « Par exemple ! » — « On dit ça… Seulement la pries-tu comme il faut, la pries-tu bien ? Elle est notre mère, c’est entendu. Elle est la mère du genre humain, la nouvelle Ève. Mais elle est aussi sa fille. L’ancien monde, le douloureux monde, le monde d’avant la grâce l’a bercée longtemps sur son cœur désolé — des siècles et des siècles — dans l’attente obscure, incompréhensible d’une virgo genitrix… Des siècles et des siècles, il a protégé de ses vieilles mains chargées de crimes, ses lourdes mains, la petite fille merveilleuse dont il ne savait même pas le nom. Une petite fille, cette reine des Anges ! Et elle l’est restée, ne l’oublie pas ! Le moyen âge avait bien compris ça, le moyen âge a compris tout. Mais va donc empêcher les imbéciles de refaire à leur manière le « drame de l’Incarnation », comme ils disent ! Alors qu’ils croient devoir, pour le prestige, habiller en guignols de modestes juges de paix, ou coudre des galons sur la manche des contrôleurs de chemin de fer, ça leur ferait trop honte d’avouer aux incroyants que le seul, l’unique drame, le drame des