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JOURNAL

Comme il n’est pas raisonnable de remettre sans cesse mon voyage à Lille, j’ai écrit au docteur en lui proposant la date du 15. Dans six jours…

J’ai tenu la promesse faite à Mlle Louise. Cette visite au château me coûtait beaucoup. Heureusement, j’ai rencontré M. le comte dans l’avenue. Il n’a paru nullement étonné de ma demande, on aurait dit qu’il l’attendait. Je m’y suis pris moi-même beaucoup plus adroitement que je ne l’espérais.

♦♦♦ La réponse du docteur m’est arrivée par retour du courrier. Il accepte la date fixée. Je puis être de retour dès le lendemain matin.

J’ai remplacé le vin par du café noir, très fort. Je m’en trouve bien. Mais ce régime me vaut des insomnies qui ne seraient pas trop pénibles, agréables même parfois, n’étaient ces palpitations de cœur, assez angoissantes, en somme. La délivrance de l’aube m’est toujours aussi douce. C’est comme une grâce de Dieu, un sourire. Que les matins soient bénis !

Les forces me reviennent, avec une espèce d’appétit. Le temps est d’ailleurs beau, sec et froid. Les prés sont couverts de gelée blanche. Le village m’apparaît bien différent de ce qu’il était en automne, on dirait que la limpidité de l’air lui enlève peu à peu toute pesanteur, et lorsque le soleil commence à décliner, on pourrait le croire suspendu dans le vide, il ne touche plus à la terre, il m’échappe, il s’envole. C’est moi qui