Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

me sens lourd, qui pèse d’un grand poids sur le sol. Parfois, l’illusion est telle que je regarde avec une sorte de terreur, une répulsion inexplicable, mes gros souliers. Que font-ils là, dans cette lumière ? Il me semble que je les vois s’enfoncer.

Évidemment, je prie mieux. Mais je ne reconnais pas ma prière. Elle avait jadis un caractère d’imploration têtue, et même lorsque la leçon du bréviaire, par exemple, retenait mon attention, je sentais se poursuivre en moi ce colloque avec Dieu, tantôt suppliant, tantôt pressant, impérieux oui, j’aurais voulu lui arracher ses grâces, faire violence à sa tendresse. Maintenant j’arrive difficilement à désirer quoi que ce soit. Comme le village, ma prière n’a plus de poids, s’envole… Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je ne sais.

♦♦♦ Encore une petite hémorragie, un crachement de sang, plutôt. La peur de la mort m’a effleuré. Oh ! sans doute, sa pensée me revient souvent, et parfois elle m’inspire de la crainte. Mais la crainte n’est pas la peur. Cela n’a duré qu’un instant. Je ne saurais à quoi comparer cette impression fulgurante. Le cinglement d’une mèche de fouet à travers le cœur, peut-être ?… Ô Sainte Agonie !

Que mes poumons soient en mauvais état, rien de plus sûr. Pourtant le docteur Delbende m’avait soigneusement ausculté. En quelques semaines, la tuberculose n’a pu faire de très grands progrès. On triomphe