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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/295

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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

à souhaiter les anniversaires d’ordination, par exemple, est célèbre. On en rit. Mais ce ne sont que des sympathies. Je comprends maintenant que l’amitié peut éclater entre deux êtres avec ce caractère de brusquerie, de violence, que les gens du monde ne reconnaissent volontiers qu’à la révélation de l’amour.

J’allais donc vers Mézargues lorsque j’ai entendu, très loin derrière moi, ce bruit de sirène, ce grondement qui s’enfle et décroît tour à tour selon les caprices du vent, ou les sinuosités de la route. Depuis quelques jours il est devenu familier, ne fait plus lever la tête à personne. On dit simplement : « C’est la motocyclette de M. Olivier. » — Une machine allemande, extraordinaire, qui ressemble à une petite locomotive étincelante. M. Olivier s’appelle réellement Tréville-Sommerange, il est le neveu de Mme la comtesse. Les vieux qui l’ont connu ici enfant ne tarissent pas sur son compte, il a fallu l’engager à dix-huit ans, c’était un garçon très difficile.

Je me suis arrêté au haut de la côte pour souffler. Le bruit du moteur a cessé quelques secondes (à cause, sans doute, du grand tournant de Dillonne) puis il a repris tout à coup. C’était comme un cri sauvage, impérieux, menaçant, désespéré. Presque aussitôt la crête, en face de moi, s’est couronnée d’une espèce de gerbe de flammes — le soleil frappant en plein sur les aciers polis — et déjà la machine plongeait au bas de la descente