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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/306

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JOURNAL

l’homme brave. Le vôtre — permettez-moi — semble usé par la prière, cela fait penser à un très vieux missel, ou encore à ces figures effacées, tracées au burin sur les dalles des gisants. N’importe ! je crois qu’il ne faudrait pas grand’chose pour que ce visage fût celui d’un hors la loi, dans notre genre. D’ailleurs mon oncle dit que vous manquez du sens de la vie sociale. Avouez-le : notre ordre n’est pas le leur. » — « Je ne refuse pas leur ordre, ai-je répondu. Je lui reproche d’être sans amour. » — « Nos garçons n’en savent pas si long que vous. Ils croient Dieu solidaire d’une espèce de justice qu’ils méprisent, parce que c’est une justice sans honneur. » — « L’honneur lui-même, commençai-je… » — « Oh ! sans doute, un honneur à leur mesure… Si fruste qu’elle paraisse à vos casuistes, leur loi a du moins le mérite de coûter cher, très cher. Elle ressemble à la pierre du sacrifice — rien qu’un caillou, à peine plus gros qu’un autre caillou — mais toute ruisselante du sang lustral. Bien entendu, notre cas n’est pas clair et nous donnerions aux théologiens du fil à retordre si ces docteurs avaient le temps de s’occuper de nous. Reste qu’aucun d’eux n’oserait soutenir que vivants ou morts nous appartenions à ce monde sur lequel tombe à plein, depuis vingt siècles, la seule malédiction de l’Évangile. Car la loi du monde est le refus et nous ne refusons rien, pas même notre peau, — le plaisir, et nous ne demandons à la débauche que le