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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

repos et l’oubli, ainsi qu’à un autre sommeil — la soif de l’or, et la plupart d’entre nous ne possèdent même pas la défroque immatriculée dans laquelle on les met en terre. Convenez que cette pauvreté-là peut soutenir la comparaison avec celle de certains moines à la mode spécialisés dans la prospection des âmes rares !… » — « Écoutez, lui dis-je, il y a le soldat chrétien… » Ma voix tremblait comme elle tremble chaque fois qu’un signe indéfinissable m’avertit que quoi que je fasse mes paroles apporteront, selon que Dieu voudra, la consolation ou le scandale. — « Le chevalier ? a-t-il répondu avec un sourire. Au collège, les bons Pères ne juraient encore que par son heaume et sa targe, on nous donnait la Chanson de Roland pour l’Iliade française. Évidemment ces fameux prud’hommes n’étaient pas ce que pensent les demoiselles, mais quoi ! il faut les voir tels qu’ils se présentaient à l’ennemi, écu contre écu, coude à coude. Ils valaient ce que valait la haute image à laquelle ils s’efforçaient de ressembler. Et cette image-là, ils ne l’ont empruntée à personne. Nos races avaient la chevalerie dans le sang, l’Église n’a eu qu’à bénir. Soldats, rien que soldats, voilà ce qu’ils furent, le monde n’en a pas connu d’autres. Protecteurs de la Cité, ils n’en étaient pas les serviteurs, ils traitaient d’égal à égal avec elle. La plus haute incarnation militaire du passé, celle du soldat-laboureur de l’ancienne Rome, ils l’ont comme effacée de l’histoire. Oh ! sans doute,