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JOURNAL

mains sacerdotales — et ce que ces hommes-là prodiguent sur toutes les routes du monde… Saurions-nous seulement mourir comme eux ? me disais-je. Un moment, j’ai caché mon visage, j’étais épouvanté de sentir les larmes couler entre mes doigts. Pleurer devant lui, comme un enfant, comme une femme ! Mais Notre-Seigneur m’a rendu un peu courage. Je me suis levé, j’ai laissé tomber mes bras, et d’un grand effort — le souvenir m’en fait mal — je lui ai offert ma triste figure, mes honteuses larmes. Il m’a regardé longtemps. Oh ! l’orgueil est encore en moi bien vivace ! J’épiais un sourire de mépris, du moins de pitié sur ses lèvres volontaires — je craignais plus sa pitié que son mépris. — « Vous êtes un chic garçon, m’a-t-il dit. Je ne voudrais pas un autre curé que vous à mon lit de mort. » Et il m’a embrassé, à la manière des enfants, sur les deux joues.

♦♦♦ J’ai décidé de partir pour Lille. Mon remplaçant est venu ce matin. Il m’a trouvé bonne mine. C’est vrai que je vais mieux, beaucoup mieux. Je fais mille projets un peu fous. Il est certain que j’ai trop douté de moi, jusqu’ici. Le doute de soi n’est pas l’humilité, je crois même qu’il est parfois la forme la plus exaltée, presque délirante de l’orgueil, une sorte de férocité jalouse qui fait se retourner un malheureux contre lui-même, pour se dévorer. Le secret de l’enfer doit être là.

Qu’il y ait en moi le germe d’un grand