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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

orgueil, je le crains. Voilà longtemps que l’indifférence que je sens pour ce qu’on est convenu d’appeler les vanités de ce monde m’inspire plus de méfiance que de contentement. Je me dis qu’il y a quelque chose de trouble dans l’espèce de dégoût insurmontable que j’éprouve pour ma ridicule personne. Le peu de soin que je prends de moi, la gaucherie naturelle contre laquelle je ne lutte plus et jusqu’au plaisir que je trouve à certaines petites injustices qu’on me fait — plus brûlantes d’ailleurs que beaucoup d’autres — ne cachent-ils pas une déception dont la cause, au regard de Dieu, n’est pas pure ? Certes, tout cela m’entretient, vaille que vaille, dans des dispositions très passables à l’égard du prochain, car mon premier mouvement est de me donner tort, j’entre assez bien dans l’opinion des autres. Mais n’est-il pas vrai que j’y perds, peu à peu, la confiance, l’élan, l’espoir du mieux ?… Ma jeunesse — enfin, ce que j’en ai ! — ne m’appartient pas, ai-je le droit de la tenir sous le boisseau ? Certes, si les paroles de M. Olivier m’ont fait plaisir, elles ne m’ont pas tourné la tête. J’en retiens seulement que je puis emporter du premier coup la sympathie d’êtres qui lui ressemblent, qui me sont supérieurs de tant de manières… N’est-ce pas un signe ?

Je me souviens aussi d’un mot de M. le curé de Torcy : « Tu n’es pas fait pour la guerre d’usure. » Et c’est bien, ici, la guerre d’usure.