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JOURNAL

d’avoir vu, quand j’étais enfant, une scène de Guignol, un jour de ducasse, à Wilman. Guignol avait caché son trésor dans un pot de terre, et il gesticulait à l’autre extrémité de la scène pour détourner l’attention du commissaire. Je pense que vous vous agitez beaucoup dans l’espoir de cacher à tous la vérité de votre âme, ou peut-être de l’oublier. » Elle m’écoutait attentivement, les coudes posés sur la table, le menton dans ses paumes, et le petit doigt de sa main gauche entre ses dents serrées. — « Je n’ai pas peur de la vérité, monsieur, et si vous m’en défiez, je suis très capable de me confesser à vous, sur-le-champ. Je ne cacherai rien, je le jure ! » — « Je ne vous défie pas, lui dis-je, et pour accepter de vous entendre en confession, il faudrait bien que vous soyez en danger de mort. L’absolution viendra en son temps, j’espère, et d’une autre main que la mienne, sûr ! » — « Oh ! la prédiction n’est pas difficile à faire. Papa s’est promis d’obtenir votre changement, et tout le monde ici vous prend maintenant pour un ivrogne, parce que… » Je me suis retourné brusquement. — « Assez ! lui ai-je dit. Je ne voudrais pas vous manquer de respect, mais ne recommencez pas vos sottises, vous finiriez par me faire honte. Puisque vous êtes ici, — contre la volonté de votre père encore ! — aidez-moi à ranger la maison. Je n’arriverai jamais tout seul. » Lorsque j’y pense maintenant, je ne puis comprendre qu’elle m’ait obéi. Au moment même, j’ai trouvé cela tout naturel. L’as-