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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/322

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JOURNAL

que vous partez en tournant le dos au monde, car le monde n’est pas révolte, il est acceptation, et il est d’abord l’acceptation du mensonge. Jetez-vous donc en avant tant que vous voudrez, il faudra que la muraille cède un jour, et toutes les brèches ouvrent sur le ciel. » — « Parlez-vous ainsi par… par fantaisie… ou bien… » — « Il est vrai que les doux posséderont la terre. Et ceux qui vous ressemblent ne la leur disputeront pas, parce qu’ils ne sauraient qu’en faire. Les ravisseurs ne ravissent que le royaume des cieux. » Elle était devenue toute rouge, elle a haussé les épaules. — « On a envie de vous répondre je ne sais quoi… des injures. Est-ce que vous croyez disposer de moi contre mon gré ? Je me damnerai très bien, si je veux. » — « Je réponds de vous, lui dis-je sans réfléchir, âme pour âme. » Elle se lavait les mains au robinet de la cuisine, elle ne s’est même pas retournée. Puis elle a remis tranquillement son chapeau, qu’elle avait ôté pour travailler. Elle est revenue vers moi, à pas lents. Si je ne connaissais si bien son visage, je pourrais dire qu’il était calme, mais je voyais trembler un peu le coin de sa bouche. — « Je vous propose un marché, a-t-elle dit. Si vous êtes ce que je crois… » — « Je ne suis justement pas celui que vous croyez. C’est vous-même qui vous voyez en moi comme dans un miroir, et votre destin avec. » — « J’étais cachée sous la fenêtre lorsque vous parliez à maman. Tout à coup sa figure est devenue si… si douce ! À ce moment, je vous