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JOURNAL

sonne ne lira jamais, j’ai le sentiment d’une présence invisible qui n’est sûrement pas celle de Dieu — plutôt d’un ami fait à mon image, bien que distinct de moi, d’une autre essence… Hier soir, cette présence m’est devenue tout à coup si sensible que je me suis surpris à pencher la tête vers je ne sais quel auditeur imaginaire, avec une soudaine envie de pleurer qui m’a fait honte.

Mieux vaut d’ailleurs pousser l’expérience jusqu’au bout — je veux dire au moins quelques semaines. Je m’efforcerai même d’écrire sans choix ce qui me passera par la tête (il m’arrive encore d’hésiter sur le choix d’une épithète, de me corriger), puis je fourrerai mes paperasses au fond d’un tiroir et je les relirai un peu plus tard à tête reposée.