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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

vicariat. En deux mots, il m’a mis à l’aise. De quel pouvoir disposent ces gens du grand monde qui semblent à peine se distinguer des autres, et cependant ne font rien comme personne ! Alors que la moindre marque d’égards me déconcerte, on a pu aller jusqu’à la déférence sans me laisser oublier un moment que ce respect n’allait qu’au caractère dont je suis revêtu. Mme la comtesse a été parfaite. Elle portait une robe d’intérieur, très simple, et sur ses cheveux gris une sorte de mantille qui m’a rappelé celle que ma pauvre maman mettait le dimanche. Je n’ai pu m’empêcher de le lui dire, mais je me suis si mal expliqué que je me demande si elle a compris.

Nous avons ensemble bien ri de ma soutane. Partout ailleurs, je pense, on eût fait semblant de ne pas la remarquer, et j’aurais été à la torture. Avec quelle liberté ces nobles parlent de l’argent, et de tout ce qui y touche, quelle discrétion, quelle élégance ! Il semble même qu’une pauvreté certaine, authentique, vous introduise d’emblée dans leur confiance, crée entre eux et vous une sorte d’intimité complice. Je l’ai bien senti lorsque au café M. et Mme Vergenne (des anciens minotiers très riches qui ont acheté l’année dernière le château de Rouvroy) sont venus faire visite. Après leur départ, M. le comte a eu un regard un peu ironique qui signifiait clairement : « Bon voyage, enfin, nous sommes de nouveau entre nous ! » Et cependant, on parle beaucoup du mariage de Mlle Chantal avec le fils Vergenne…