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L’IMPOSTURE

geant toujours les aiguilles noires avec une insistance stupide, il n’en pouvait croire ses yeux. Car dans le moment qu’il avait saisi l’arme pour la deuxième fois, l’horloge marquait trois heures cinq, il l’avait involontairement noté. Or, elle marquait à présent quatre heures moins dix. L’hésitation, qu’il avait crue si courte, avait duré cinquante minutes !

Il aurait pu douter : il ne douta pas. Au penser du long rêve poursuivi le doigt sur la détente, il eut un sursaut de terreur, moins de la mort que du risque couru de glisser ainsi, d’un coup, du songe au néant. Une crampe du doigt, une pression inconsciente, et c’en était fait pour jamais. Le meurtre était accompli, mais il l’avait commis en aveugle… Ainsi eût-il été dupe jusqu’au bout d’un incompréhensible délire. La même affreuse nuit, tour à tour, lui eût volé sa vie, puis sa mort… Cette pensée l’exaspéra.

Encore un coup il serra la crosse, tâcha de concentrer son attention, dompter ses nerfs. À quiconque eût douté devant lui, encore à cet instant, de sa décision irrévocable, il eût de bonne foi répondu par un éclat de rire. Il était certain de ne pas voir l’aube. Et pourtant sa pensée, déjà rebelle, opposait une résistance sournoise, biaisait vers les images délirantes. Il entendait le coup sourd, étouffé. L’ogive de métal forait l’os frontal, faisait éclater la paroi. L’œil sautait de l’orbite sur la table, et il voyait sur le drap le globe blanc dans un glaire écarlate… L’horloge sonna quatre coups.

Le cri qu’il entendit n’était pas un cri d’agonie, mais un véritable rugissement de rage impuissante. La main relâcha son étreinte. Bien pis ! Son cerveau