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L’IMPOSTURE

travaillait déjà plus librement ; les forces qu’il avait concentrées à grand’peine se déliaient, trouvaient leur issue dans une méditation vaine… Il commençait d’observer, il redevenait spectateur.

Il jeta l’arme devant lui avec une telle violence qu’elle tourna sur elle-même et rebondit deux fois jusqu’au mur. Et presque aussitôt il courut la reprendre, la replaça sur son bureau, à sa portée, la considérant d’un regard tantôt furieux, tantôt morne, et parfois si curieusement trouble et servile… Réellement, sa pensée ne se fixait à rien de précis, quêtait d’une idée à l’autre. Puis les traits du visage s’immobilisèrent, la peau de ses joues blêmit, son grand corps se dressa tout à coup et par une détente si brusque qu’il parut bondir. La chose brune et brillante étincela de nouveau dans sa main, se rapprocha vivement de son front. Chacun de ses gestes fut vraiment celui d’un homme qui prend son élan, qui s’élance, car le dernier accès de la tentation, après un répit perfide, est toujours le plus violent et le plus court. Jamais encore le terrible prêtre n’avait été si près de sa fin. Et pourtant, même alors, quelque chose se brisa dans son cœur. L’élan génétique, en apparence irrésistible, se replia se défit : l’ombre oscilla sur le mur. Et sans perdre conscience un instant, non point atteint dans sa chair, mais comme au point le plus délicat de son vouloir, au point vital, il tomba la face en avant, les bras en croix, sur le tapis, et s’y roula en sanglotant, avec un abandon, un hideux déliement de tout l’être.

Il avait le nez dans la laine épaisse, bientôt trempée de larmes, il y enfonçait sa face, il serrait dessus ses mâchoires. Un mouvement convulsif le mit un instant