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L’IMPOSTURE

de rentrer chez lui en vaincu. L’image passa devant son regard de la pièce qu’il venait de quitter, jadis bonne et familière, à présent marquée à jamais d’un souvenir atroce… Soudain il cessa de respirer, retint sa salive. En un éclair de raison, il s’avisa tout à coup qu’il avait laissé son bureau tel quel, le revolver sur la table, la lampe brisée — toutes les traces de la lutte obscure, sa soutane jetée dans un coin — mise en scène que rendrait plus inexplicable encore sans doute la clarté même du jour. Cette dernière preuve de son impuissance l’accabla. Et déjà il remontait à petits pas le boulevard, retournait à sa destinée.

À mesure qu’il avançait, un peu détendu par l’effort, la honte de céder à la crainte d’un péril imaginaire l’emportait de nouveau sur sa crainte même. À la hauteur de la rue de Rivoli, pâle de rage, il résolut de s’en tenir, coûte que coûte, à son premier projet, dût-il courir le risque d’un scandale. Il irait en Allemagne, et puisqu’il était contraint de fuir, il fuirait jusque-là, plus loin encore, si possible, remettant à plus tard les explications et les excuses. Ce départ marquait sa défaite, mais une défaite acceptée, non pas tout à fait subie, n’est jamais un désastre irréparable. Il cédait le terrain, gardant l’espoir d’une revanche. Au lieu qu’affronter encore, sans délai, sans un décisif examen de conscience, l’ennemi bizarre qui l’avait déjà terrassé, c’était proprement courir à sa perte, ou du moins à de nouvelles et plus humiliantes divagations. « J’ai besoin de changer d’air, » dit-il entre ses dents… La simplicité, la banalité de ce conseil donné à lui-même, lui fut douce.

Quand il atteignit le parvis de l’église Saint-Laurent,