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L’IMPOSTURE

ment de détourner son attention, de la laisser dans le vide, de s’attacher à pleurer sans cause, ainsi qu’on s’étend pour dormir ou mourir… « J’ai pleuré longtemps de fatigue, et de dégoût, » a-t-il écrit depuis. Mais, en l’écrivant, il savait bien qu’il mentait. Car à mesure que ruisselait entre ses doigts, jusqu’à l’ignoble marbre, cette eau solennelle, toute fatigue coulait avec elle, et il sentait frémir en lui une force immense, contre laquelle sa volonté déchue se roidissait à grand’peine. Qui donc l’avait conduit là, si loin de ce petit univers où il avait vécu, dont il tirait sa substance, où s’épanouissait son orgueil, où il eût nourri son remords, pour le jeter seul, dans son déguisement dérisoire, si parfaitement à la merci de lui-même ? Qu’un regret eût jailli à la surface de ces ténèbres intérieures, qu’un souvenir eût seulement passé dans le champ de la conscience, d’une jeunesse tôt détruite par le calcul et la fraude, mais qui à un moment du moins eut sa candeur et sa foi, c’en était assez pour rompre le silence qu’il maintenait désespérément, qu’il opposait de toutes ses forces au Dieu vainqueur. Et certes, pour autant qu’on puisse se faire juge en une telle cause, ici même, sans doute se consomma son destin. Nul n’est jeté à l’abîme, sans avoir repoussé, sans avoir dégagé son cœur de la main terrible et douce, sans avoir senti son étreinte. Nul n’est abandonné qui n’ait d’abord commis le sacrilège essentiel, renié Dieu non pas dans sa justice, mais dans son amour. Car la terrible croix de bois peut se dresser d’abord au premier croisement des routes, pour un rappel grave et sévère, mais la dernière image qui nous apparaisse, avant de nous éloigner à jamais, c’est cette autre croix