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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/126

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L’IMPOSTURE

l’auteur des Poèmes à mon Vainqueur avaient paru tirer brusquement de sa réserve habituelle, à en juger au moins par une rougeur furtive, d’ailleurs à peine visible sur le grain épais de sa peau.

Il glissa son regard entre les paupières mi-closes, vers le plaintif Pernichon, car s’il n’entend louer personne sans un serrement de cœur, sa propre femme plus qu’aucun être au monde exerce sa douloureuse envie, et il n’était pas près de pardonner au jeune Auvergnat malchanceux son admiration indiscrète pour une intolérable rivale.

Ayant ainsi tourné vers lui tous les regards, il inclina par un mouvement familier, sur l’épaule droite, sa petite tête triangulaire et de sa meilleure voix diplomatique, dont le son grêle et fêlé surprend toujours, ainsi qu’un pernicieux présage :

— Au profit du critique et de l’historien, on oublie trop le prêtre, dit-il. Pour être sans ostentation, son zèle est néanmoins connu de quelques-uns qui pourraient rendre témoignage de lui, si un scrupule honorable ne leur fermait probablement la bouche. Sans doute, je n’ai pas l’honneur d’être l’un de ces favorisés, mais j’en sais assez cependant pour sourire de certaines médisances perfides, ou même d’un certain silence qui n’est pas toujours désintéressé. Je ne surprendrai pas tout le monde ici en disant que M. l’abbé Cénabre, pour quelques privilégiés, est un conseiller — disons le mot : un confesseur incomparable.

Il passa doucement les doigts sur ses favoris au poil rare et triste, parut savourer en connaisseur le silence qui suivit. Tous les regards se tournèrent vers M. Pernichon.