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L’IMPOSTURE

associer pour un temps à ses entreprises, ou du moins aux obscures machinations et méditations qui les préparent, sa haine étant terriblement lente à s’échauffer.

— Je ne croyais pas… Je ne pensais pas… balbutia le jeune Auvergnat frappé au cœur, avoir mérité autre chose de vous que des critiques, des observations… dont j’étais prêt d’ailleurs à tenir compte… respectueusement… filialement… permettez-moi de le dire… Tandis que ce jugement d’ensemble… cette espèce de condamnation de mon passé, de mon œuvre…

Il tourna de tous côtés son pauvre visage enflé de larmes, et se leva brusquement, tenant toujours serré le dossier de sa chaise d’une de ses mains tremblantes.

— Hahahaââ… ah ! ah ! fit M. Guérou dans un bâillement.

On entendit le petit rire étouffé de Mme Jérôme que l’assistance reprit aussitôt en chœur, mais sur le ton d’une taquinerie respectueuse.

— Vous étiez assoupi, cher maitre, ne le niez pas ! s’écria Mgr Espelette.

— Il est bien possible, répondit M. Guérou, en promenant sur son visage sa main énorme et molle, toute rose. Mon infirmité n’était que laide, elle va devenir discourtoise, repoussante. Je sens couler dans mes veines un sang épaissi par la graisse, ma pauvre cervelle n’en peut plus. Je m’assoupis ainsi, comme on meurt.

Il se retourna en gémissant, prit sur le guéridon un verre d’eau glacée, le vida d’un trait, et à l’unanime