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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/138

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L’IMPOSTURE

perdre dans l’esprit d’un directeur qui, bien que communiste, israélite et franc-maçon, a sur le problème religieux les vues les plus larges, les plus pénétrantes ?

— Nous savons que votre responsabilité est fort grande… dit mélodieusement M. Catani.

— Je le sais aussi ! s’écria Pernichon, avec une émouvante sincérité, l’expression d’un immense espoir. Car il venait d’interpréter tout à coup dans un sens favorable les paroles du puissant augure.

— Elle pèse trop lourd sur vos épaules, continua l’autre, imperturbable. De l’avoir acceptée — que dis-je ? — sollicitée même est une première faute. Vous en avez commis une plus grave encore en cédant à l’entraînement du jeu, en déployant une activité — pardonnez-moi — hors de proportion avec vos mérites, avec votre expérience surtout.

Il s’interrompit une seconde, passa un petit mouchoir sur son front blême. On entendit, dans le silence, la respiration courte de ses poumons rongés de phtisie, comparable au froissement d’un papier de soie.

Pernichon le regardait, fasciné. Jusqu’à ce moment, et tout au long des interminables semaines, où il avait senti peu à peu — lentement, mystérieusement – tourner sa chance, il avait compté sur ce dernier appui, contre toute évidence, avec le superstitieux entêtement du joueur. Sans doute nul ne fut jamais si sot, ni si chimérique d’espérer gagner l’amitié d’un homme, car on sait sa patience et sa douceur inaccessibles, impitoyables, aussi fermes qu’un mur d’airain. Mais il n’est pas impossible de tirer quelque avantage de son indifférence, ou même de son mépris, car on l’a vu parfois utiliser de ces sots inoffensifs et les