Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
L’IMPOSTURE

qu’ils méprisaient chez les autres, ainsi qu’une grossièreté, tour à tour dangereuse ou ridicule. L’élan désespéré du pauvre diable, sa sincérité mise à nu, loin de toucher leurs cœurs, les devait glacer, les fermait à toute pitié, n’était pour ces profonds calculateurs de choses frivoles qu’un spectacle répugnant. Si inconscients de leur propre faiblesse, mais ingénieux à la cacher, comment ne l’eussent-ils pas reconnue, avec honte et avec rage, chez le transfuge qui venait de sauter hors du cercle enchanté des convenances et fonçait droit devant lui — dans le public — pareil à un acteur devenu fou ?

— J’ai tâché de vous être utile, murmura dans un souffle M. Catani, de plus en plus livide. Mon… Ma pauvre expérience m’en donnait probablement les moyens… Je ne regrette pas de l’avoir fait… Mais votre… votre cruelle injustice… En vérité, il est moins possible que jamais de vous prendre au sérieux !

Il montra le creux de sa poitrine de sa misérable main maigre, luisante de sueur, et fit comprendre qu’il souffrait.

— Vous venez de commettre une mauvaise action, dit Mgr Espelette avec feu, en se tournant vers Pernichon. Il m’est pénible de le déclarer ainsi publiquement, mais je n’ai plus le droit d’être indulgent.

Une seconde, tous purent voir le malheureux Auvergnat flotter sur le silence qui suivit, ainsi qu’un bouchon de liège.

— Vous connaissez l’homme dont j’ai parlé, hurla-t-il. Aucun de vous n’ignore…

Mais il prit peur avant d’avoir porté à fond ce dernier coup, et au fléchissement de sa voix, on respira.