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L’IMPOSTURE

peuvent durer qu’à force de précautions et de soins minutieux, que le plus petit élan de sincérité détruirait sans doute, car ils ne sont plus en état de supporter une si forte dépense de leur être ! Et comment encore ne pas accorder quelque admiration, malgré tant de rivalités sournoises, à l’étroite solidarité qui les rassemble, à travers un monde hostile, ainsi qu’un malheureux troupeau !

Le premier cri de colère de Pernichon les avait d’abord frappés de stupeur, puis révoltés. D’ordinaire, un silence glacial, une muette réprobation eût suffi à faire rentrer le coupable dans le devoir, mais il avait, cette fois, passé outre. Alors, le groupe s’était senti menacé, faisait front contre un danger commun. Si surprenant que cela puisse paraître, aucun d’entre eux n’était plus capable de prêter la moindre attention aux preuves données par l’accusateur (à supposer qu’il en fournît), et la démonstration rigoureuse, irréfutable, de l’infamie de l’accusé, n’eût convaincu personne, n’eût pas même été entendue. Car toute violence leur est un outrage, les jette comme hors d’eux-mêmes, dans une espèce de délire sacré. Pareils à ces chiens qui, entre deux adversaires, sautent à la gorge de celui qui crie le plus fort, leur premier mouvement est de haïr et de réprimer l’audacieux, et ils attendaient, ils attendaient tous avec cette curiosité pleine d’angoisse que M. Catani rétablît l’ordre, exécutât ce fou périlleux, d’ailleurs prêts à se satisfaire de n’importe quoi, de n’importe quelle réponse, pourvu qu’elle fût traitée sur le ton qu’il faut, qu’elle permît de rentrer dans les convenances et la gravité.