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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/162

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L’IMPOSTURE

tingue à peine du pessimisme le plus noir, et il a des hommes le même mépris qu’un notaire ou qu’un policier, mais inconscient, stupide, inaltérable. Une fois pour toutes, et malgré la réelle honnêteté de ses mœurs, sa juste sévérité pour lui-même, il a donné au mensonge, à la duplicité, à l’ambition, à l’envie, à la haine, des noms rassurants, il leur a trouvé des synonymes exquis dont il est la première dupe. Ce qu’il appellerait volontiers chez lui, si du moins il était assez vil ou assez hardi pour la commettre, trahison, prend, dans sa bouche, à l’égard d’autrui, le surnom beaucoup plus favorable de tricherie ou d’excessive habileté. Pareillement, certains provinciaux s’imaginent qu’une Parisienne élégante ne saurait être que perdue de mœurs. Ainsi ce naïf compliqué croit dur comme fer qu’un homme de lettres, un journaliste, un député, même de l’espèce bien pensante, bénéficie d’une sorte d’alibi moral, a droit à un traitement de faveur, ne peut être tenu, avec le commun des êtres raisonnables, d’observer les règles élémentaires de la simple honnêteté. Il éprouve, à connaître, à fréquenter d’aussi près ces privilégiés, à s’en servir, la même équivoque fierté du fils de famille faisant honnêtement sa partie dans un tripot, et finissant par se lier d’amitié avec des grecs et des filles, qu’il montre de loin à de jeunes cousines stupéfaites. Cette indulgence souriante, ce scepticisme à fond de candeur, fait l’admiration de ses vicaires, et il passe avec honneur, dans sa petite ville, pour un Talleyrand démocrate, dont le directeur du grand séminaire et quelques vieux prêtres attardés déplorent (non moins candides !…) les compromissions et l’audace. C’est