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L’IMPOSTURE

C’est alors que cet homme singulier donna les premiers signes de lassitude, et la publication d’un second livre assomma ses thuriféraires, fit le vide autour de lui. Sur la foi de sa gourmandise, de son franc rire dont personne n’avait encore noté le hennissement, on l’avait tenu pour un amuseur inépuisable en malices et facéties, et il se dénonçait soudain. Son livre, écrit sous la forme d’un journal, notait avec une précision, une autorité, une cruauté sans égales non plus les faits divers de la vie parisienne, mais les événements de sa propre vie, et avec une telle minutie, une si froide impudence que la suite de ces aveux calculés, impitoyables, d’une effrayante monotonie, néanmoins impossibles à éluder, car on se trouve entraîné dans leur déroulement logique ainsi que dans la succession d’un cauchemar, causait une espèce de malaise qu’un petit nombre seulement des lecteurs de Mécène et ses suivantes fut capable de supporter… L’illustre éditeur, qui avait spéculé sur un triomphe, garrotté par un traité léonin, dut se résigner au désastre. Mais l’auteur n’y perdit que peu, car délaissé de son public, il vit aussitôt se ranger sous lui une troupe dévote qui le reconnut pour son chef. Et le succès, en Allemagne surtout, fut immense.

Son troisième livre décida probablement de son destin. C’est le chef-d’œuvre d’une âme aride, c’est la gageure d’une intelligence dont la recherche enragée a quelque chose d’héroïque, mais qui, livrée à elle-même, réduite à se dévorer ainsi que l’animal légendaire, s’épuise à mesure qu’elle avance et s’arrête condamnée sur la route affreuse qui aboutit ensemble à la perfection et au néant. Les vices, qui tenaient dans son