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L’IMPOSTURE

second livre tant de place, ne sont évoqués cette fois que par allusion, avec méfiance. Il semble que l’auteur dédaigne déjà cette part encore trop positive de sa vie. Il nous condamne à n’en connaître que les intentions, et ces intentions n’aboutissent qu’à la vaine fécondation d’intentions nouvelles, qui se perdent elles-mêmes dans le vide.

Puis c’en fut assez pour jamais : M. Guérou n’écrivit plus rien. Après un temps de surprise, le silence finît par être accepté par tous comme l’aboutissement nécessaire d’une introspection creusée jusqu’au sacrifice total, jusqu’à l’absorption du regardé par le regardant. Dès lors, il reçut l’espèce de consécration universelle, si rarement donnée aux artistes vivants, et il sut porter avec esprit sa renommée. Riche sans doute de quelque héritage ignoré, traitant magnifiquement ses hôtes, providence discrète d’étrangers faméliques qui portaient au loin sa gloire, administrant son redoutable orgueil avec une prudence consommée, trop habile, ou indolent, pour se compromettre en rien, il vit peu à peu s’asseoir à sa table, qu’il avait somptueuse et généreuse à souhait, les convives les plus divers, et les renvoyait contents. Mais nul d’entre eux ne se vanta jamais de connaître le fond d’un tel homme. On lui donnait des vices sans pouvoir le convaincre d’aucun. Son dédain de l’argent était proverbial, son obligeance reconnue, sa tolérance infinie. Et néanmoins, le silence tout à coup gardé sur lui-même, après un double scandale, ne lui fut jamais pardonné. La dignité de cette vie en apparence publique, bien qu’elle ne laissât rien paraître de ses douleurs ou de ses joies, semblait un défi à la curiosité, jadis excitée