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L’IMPOSTURE

une galerie, franchit le dernier seuil, et aperçut enfin l’hôte mystérieux, qui, levant à peine une main bénissante, les paupières mi-closes, la bouche tirée en dedans par l’imminente paralysie, ne lui donna d’abord en manière de bienvenue qu’un bredouillement presque indistinct. Puis, cette espèce de cadavre dans son linceul de graisse s’agita tout à coup, et les doigts gonflés serrèrent les siens avec une vigueur surprenante.

— Maître, fit d’un trait l’auteur des Lettres de Rome, je viens vous supplier de croire que je regrette profondément, cruellement, d’avoir été la cause involontaire d’une scène fâcheuse à tous égards, et vous prier de me pardonner…

— Vous pardonner ! s’écria M. Guérou. Vous m’offrez des excuses ! Je pensais que vous veniez recevoir des félicitations.

Il contempla une seconde le petit homme tremblant, pinça les narines pour flairer de loin sans doute le vieux pardessus trempé de pluie, saisit tout d’un regard et dit :

— Vous les avez assommés ! Ils ont aujourd’hui trouvé leur maître. C’est un beau coup !

Pernichon, stupéfait, inclina la tête et se tut.

— Voyez-vous, reprit l’infirme avec une atroce ironie, tout homme digne de ce nom d’homme rencontre une fois dans sa vie l’occasion, la divine occasion… Vous avez sauté dessus, un peu brutalement, je l’avoue, au risque de la renverser. J’aime l’audace. À votre âge, c’est presque une forme de la prudence… Et maintenant, qu’allez-vous faire ? dit-il, après un silence, paternellement.

Le rouge vint aux joues du malchanceux. Il ne voulait pas douter d’être mystifié, il en sentait déjà